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Etat physique

La notion d'état d'un système physique est au fondement de la mécanique quantique. Cette notion est à la fois essentielle et opaque, comme le sont toutes les autres notions de base des très grandes théories synthétiques de la physique. Comme pour elles, sa pleine signification est opérationnelle, c'est-à-dire ressort de l'usage qui en sera fait par le formalisme. Néanmoins, il vaut la peine d'anticiper sur ce dernier et d'essayer de préciser, au moins expérimentalement, ce que signifie cette notion quantique d'état physique.

Puisqu'un système classique est doté de propriétés intrinsèques, à chacune de ces propriétés correspond une grandeur physique qui est une variable cinématique ou dynamique, et qui à chaque instant, possède une valeur numérique déterminée. Cet ensemble de valeurs simultanées caractérise et constitue l'état physique instantané de ce système. Cet état est habituellement décrit par des variables de base : positions et vitesses (formalisme de Newton ou de Lagrange) ou positions et quantités de mouvement (formalisme hamiltonien) des corpuscules matériels qui le constituent. Toutes les autres variables cinématiques ou dynamiques du système (distances relatives, énergies, moments angulaires... etc) sont alors des fonctions bien déterminées de ces variables de base. On notera que l'état d'un système classique est donc défini et déterminé par l'ensemble des mesures nécessaires pour connaître les valeurs de toutes les variables de ce système. Le nombre minimal de ces mesures indépendantes et nécessaires définit le nombre de degrés de liberté de ce système.

En mécanique quantique la situation est bien différente et pour des raisons dont les principales ont déjà été résumées dans un ouvrage précédent (Réf. 1). En effet, une analyse plus approfondie des phénomènes atomiques a révélé qu'en général les valeurs des grandeurs physiques caractéristiques d'un système ne peuvent pas être simultanément déterminées, non pas en raison d'un manque de savoir-faire de l'expérimentateur ou en raison de perturbations ou d'incertitudes d'origine expérimentale, mais parce qu'il ne peut exister aucun état de ce système dans lequel ces valeurs seraient en même temps bien définies. De telles grandeurs physiques, soit $ A$ et $ B$ par exemple, sont dites incompatiblesI1. Toute amélioration de la détermination de l'une, $ A$ par exemple, entraine nécessairement une détérioration de la précision de l'autre. Par exemple la position et l'impulsion d'une particule ne sont jamais et ne peuvent jamais être simultanément définies, ce qui a déjà pour effet de réduire de moitié le nombre classique de grandeurs physiques compatibles indépendantes.

Mais, et ceci est encore beaucoup plus lourd de conséquences, non seulement les variables dynamiques d'un système ne peuvent pas être toutes simultanément définies, mais aucune d'entre elles ne possède en général une valeur définie, elle possède seulement un spectre de valeurs possibles. Dès lors, l'information maximale concernant un état $ \Psi$ d'un système, c'est-à-dire sa connaissance la plus complète se réduira à connaître pour chacune des grandeurs physiques mesurables, quelles sont ses valeurs expérimentales possibles et avec quelle probabilité (ou fréquence) chacune de ces valeurs possibles sera expérimentalement obtenue, si cette grandeur physique est mesurée quand le système est dans cet état. L'ensemble de ces informations constitue un inventaire ou un catalogue de possibilités ou de potentialités.

Ainsi connaître un état quantique c'est seulement connaître avec précision le catalogue de ses potentialitésI2. Cela implique de pouvoir les mesurer, et puisqu'elles ne sont pas toutes en général simultanément mesurables sur le même système, cela implique que l'on dispose d'un sous-ensemble de systèmes identiques placés dans le même état.

La réalisation expérimentale d'un tel sous-ensemble constitue une préparation. Elle consis-te à effectuer sur un grand ensemble de systèmes identiques un ensemble suffisantI3 de mesures compatibles, et à filtrer et ne garder, dans un même sous-ensemble, que les systèmes pour lesquels on a obtenu les mêmes résultats.

Si le protocole expérimental qui définit la mesure et le filtrage est suffisamment précis, tous les expérimentateurs qui appliqueront ce protocole réaliseront des sous-ensembles de systèmes qui manifesteront ensuite les mêmes potentialitésI4. Chacun de ces sous-ensembles caractérise donc un état quantique $ \Psi$ bien déterminé par ces mêmes potentialités.

Puisque par ailleurs tous les éléments d'un même sous-ensemble ont fourni les mêmes résultats de mesure dans la préparation, et que le nombre de ces mesures compatibles est maximal, il résultera du formalisme que tous ces éléments constituent des systèmes physiques dotés des mêmes potentialités et donc placés dans ce même état. Cette notion d'état physique se trouve ainsi définie expérimentalement.

Des considérations précédentes il résulte que dans la nouvelle physique quantique, la notion classique d'objet physique tend à être supplantée par la notion quantique d'état physique. En effet, la réalité d'un objet, ou d'un système physique, consiste fondamentalement en l'ensemble des observations empiriques ou expérimentales auxquelles il peut donner lieu. Pour rendre compte de ces observations, il n'est pas nécessaire d'imaginer l'existence d'une substance objet support de propriétés intrinsèques et permanentes, et cause cachée de ces manifestations expérimentales. Postuler l'existence d'un tel objet, transcendant à ces manifestations, constitue une hypothèse métaphysique inutileI5 et source de problèmes insolubles, concernant l'interprétation du formalisme quantique. Chaque objet ou sous-système physique peut donc se réduire à un sous-ensemble de telles manifestations expérimentales possibles.

La physique découvre selon quelles lois s'enchaînent et se transforment les manifestations de chacun de ces objets. Elles généralise en quelque sorte le procédé macroscopique qui nous fait changer de point de vue, c'est-à-dire tourner autour d'une chose ou la manipuler pour mieux, dit-on, la connaître, ce qui en fait signifie seulement savoir la reconnaître. Plus généralement la science identifie et précise les lois permanentes de corrélation et de succession temporelle, qui régissent les observations et les mesures expérimentales effectuées sur tous ces sous-ensembles mis en interaction.

Il y a lieu de remarquer combien la notion d'état physique quantique, qui vient d'être définie, diffère de celle d'état physique classique, sommairement rappelée précédemment. Il eut sans doute été préférable d'employer un mot nouveau pour désigner le concept de base de la mécanique quantique et dont la signification est totalement étrangère à la physique classique.

Sans oublier qu'il n'existe aucune frontière qui séparerait le monde macroscopique de la physique classique et le monde microscopique de la nouvelle physique quantique, il y a lieu de remarquer que les considérations précédentes s'appliquent tout particulièrement aux objets microscopiques. En effet leurs propriétés abusivement dites intrinsèques (par exemple : charges diverses, spin, nombres quantiques...) sont définies et leur sont attribuées par la théorie qui les utilise. Par ailleurs, les manifestations de ces propriétés dépendent du contexte expérimental, et ne sont pas, en général, compatibles entre elles. Enfin, ces objets microscopiques pourraient difficilement être dotés d'une substance permanente puisqu'ils sont susceptibles de s'annihiler dans certaines circonstances et donc que leur existence même est éphémère.

En résumé, un système physique peut ainsi se réduire à l'ensemble organisé de ses manifestations expérimentales possibles. Un tel objet physique ainsi réduit à ses potentialités se confond donc alors avec ce qui est appelé son état physique comme il a déjà été dit précédemment. Connaître l'état d'un système physique c'est précisément connaître toutes ses potentialités, c'est-à-dire savoir prévoir toutes les manifestations expérimentales de ces potentialités. Dès lors, la physique renonce à donner du système physique étudié, une image concrète ou familière. Aucune image classique et notamment mécanique n'est susceptible de décrire valablement un système microscopique. Toutes les images familières sont fausses. Ne subsiste qu'un formalisme opérationnel et prédictif.


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Arnaud Balandras 2005-04-02