Nous situant toujours dans la perspective du point de vue de Bohr qui écarte toute implication réaliste ou ontologique, nous nous proposons de commenter le principe de réduction du paquet d'ondes. Ce principe se situe dans le prolongement du principe de décomposition spectrale dont il peut apparaître comme une conséquence. Nous rappellerons donc une nouvelle fois ce principe de Bohr.
Si sur un ensemble de
systèmes physiques identiques et indépendants, supposés
tous placés dans un même état initial
, codé par le vecteur ket
normé, on mesure la même grandeurII21 physique
, on trouvera pour résultat de
mesure chacune des valeurs propres
(supposées pour simplifier
discrètes et non dégénérées) de l'observable
image de
,
et un nombre de fois égale à
de telle sorte que, avec :
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Si, par contre, on avait mesuré une grandeur physique
autre que
, une autre décomposition spectrale :
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aurait indiqué d'autres probabilités
concernant cette autre mesure :
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ces nouvelles probabilités n'ayant d'ailleurs de sens, que si la
grandeur
est effectivement mesurée.
On peut encore considérer, par la pensée, l'un quelconque de ces systèmes
indiscernables. Ce système unique est alors représentatif de l'ensemble et son état
codé par le vecteur ket
est le catalogue des probabilités
considérées ci-dessus :
ou
etc
et dont chacune des pages correspond à chacune des observables :
ou
(ou
chacune des E.C.O.C.) qui peuvent être mesurées.
Tant que les mesures des grandeurs
et
n'ont
pas été effectuées, les probabilités
ou
n'indiquent pas avec quelle
probabilités le système étudié se trouve déjà dans
l'état codé
ou dans l'état codé
mais indiquent seulement les probabilités d'y trouver le
système, si la grandeur
ou si la grandeur
est effectivement mesurée. De ces remarques il résulte que le
concept d'état et sa représentation par un vecteur ket
constituent seulement les outils opérationnels du
formalisme. Les probabilités sont mesurables
expérimentalement. Ni l'état, ni son vecteur ket image
ne le sont.
De ces remarques se dégage une conception du réel bien éloignée de celle suggérée par l'expérience immédiate et ensuite structurée par la mécanique et la physique classiques. Selon ces dernières toute mesure idéale ne fait que constater un état de chose qui existe indépendamment de son observation.
Au contraire, selon la physique quantique, le système étudié ne possède réellement une propriété dynamique déterminée qu'à partir du moment où cette propriété a été observée. Un tel point de vue se situe dans le prolongement de celui de la théorie de la relativité restreinte, selon laquelle le réel est constitué d'événements, c'est-à-dire de phénomènes observés qui sont constitués de coïncidences spatio-temporelles. Mais alors, se demander, dans l'expérience des deux fentes de Young, par laquelle des deux fentes est passé le photon, quand rien dans l'appareillage ne permet de le savoir, c'est en fait se demander où s'est passé un événement qui n'a pas eu lieu, puisqu'il n'a donné lieu à aucune sorte de manifestation.
Si donc une variable dynamique (position, impulsion, énergie ... etc) n'a pas de valeur déterminée avant d'être mesurée, la mesurer ne peut pas signifier : trouver la valeur qu'elle a ! Donc comme l'écrit SchrödingerII22 :
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Le résultat de la mesure doit donc exister après la mesure, c'est-à-dire que si on répète immédiatement la même mesure on devra retrouver le même résultat. Une telle conséquence constitue la raison d'être de la mesure, et explique la définition qu'en donne SchrödingerII23 :
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Un tel énoncé exprime le contenu essentiel du principe de réduction du
paquet d'ondes dont le mécanisme peut être décomposé en deux étapes :
Passage de l'état pur au mélange
En effet, si, comme il vient d'être dit, suite à une
première mesure d'une observable
, le résultat obtenu, soit
par exemple
, doit être nécessairement
répété identiquement, lors d'une deuxième mesure de
immédiatement consécutive, il résulte alors du
formalisme et notamment d'une conséquenceII24 du postulat III que l'état
du système consécutif
à la première mesure doit être représenté par le
ket propre
correspondant à la valeur propre
de
l'observable
:
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Cette conséquence constitue le postulat IV lui-même.
Des deux postulats III et IV ainsi associés, il résulte alors
que si la mesure de la grandeur
, codée par
l'observable
, portait sur un ensemble de
systèmes identiques,
indépendants et tous supposés placés dans un même état
initial codé par le vecteur normé
, cette mesure a pour
effet de décomposer cet ensemble en une partition, telle qu'à
chacune des valeurs propres
corresponde un sous-ensemble
réunissant
systèmes placés dans le même état final
codé
avec :
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Puisque les systèmes considérés sont indiscernables, il est
sans signification de chercher à les identifier dans l'état
final et si, par la pensée, on considère l'un quelconque
d'entre eux, on sait seulement que son état consécutif à la
mesure est l'un des états codé
avec la
probabilité
.
La mesure a donc eu pour effet de transformer l'état pur initial codé par le
vecteur ket
en un mélange codé par l'opérateur densité :
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On remarquera que la réalisation de cette première étape n'exige pas que l'expérimenta-teur ou l'observateur prenne immédiatement ou effectivement connaissance du, ou des, résultats obtenus. Il suffit, mais il est aussi nécessaire, que l'appareillage macrosopique de mesure, extérieur au système mesuré, soit tel que, d'une manière ou d'une autre, ces résultats de mesure puissent être connus, soit d'une manière différée soit au moins en principe.
C'est ainsi que, par exemple, si seulement l'une des deux fentes de l'expérience de Young était parfaitement surveillée, le phénomène d'interférence ne se produirait pas, bien qu'aucune détection effective n'ait été faite sur l'autre fente. C'est seulement une sorte de raisonnement logique qui fait localiser les photons sur cette deuxième fente quand ils ne sont pas détectés au passage de la première.
On notera que le phénomène d'interférence disparaitrait également si la détection du passage des particules à travers les fentes était seulement enregistrée sans même qu'il soit pris connaissance ensuite de ces enregistrements.
Rappelons également ici l'expérience déjà décrite, au cours de
laquelle des neutrons monocinétiques de faible énergie sont diffractés par un
cristal constitué de noyaux de spin
. Aux pics de diffraction
dûs à la diffusion cohérente, s'ajoute un fond continu dû à une
diffusion incohérente. Les neutrons responsables de celle-ci constituent un
mélange d'états dont chacun a été localisé par le noyau sur lequel
l'interaction a provoqué le renversement du spin. Bien entendu une telle
localisation est techniquement inobservable. Ce qui importe seulement, c'est que
celle-ci soit théoriquement possible.
Plus généralement, la réalisation de la première étape du processus de réduction du paquet d'ondes exige seulement que l'interaction liée à la mesure ait laissé des traces irréductibles et qu'ainsi le résulat de la mesure soit enregistré d'une manière irréversible dans et par un appareillage macrosopique.
Cette première étape du processus semble objective puisque l'observateur conscient en parait absent. Le croire serait illusoire car les notions d'appareillage macrosopique et d'irréver-sibilité sont implicitement mais intimement liées à celle d'observateur conscient.
Néanmoins, certaines études relativement récentes tendent à laisser croire que la prise en compte rigoureuse de l'interaction inévitable du système observé, quand il est macroscopique, avec son environnement tellement complexe pourrait suffire pour expliquer le passage de ce système à l'état de mélange (processus de décohérence). Ainsi pourrait-on réconcilier un monde macroscopique classique et sa sous-structure microscopique et quantique.
Par exemple, en ce qui concerne le paradoxe du chat de Schrödinger, le dispositif expéri-mental, pourrait-on dire, inscrit lui-même en permanence et d'une manière irréversible la situation effective du chat : mort ou vivant. Autrement dit, le chat serait en état d'observation permanenteII25. Un tel point de vue réaliste n'est pas celui de l'école de Copenhague.
Lecture du résultat
L'étape précédente qui vient d'être analysée est à la
foi capitale et paradoxale. En effet, c'est au cours de cette
étape que s'est manifesté le caractère
indéterministe propre aux phénomènes quantiques. Le
même état pur initial a en effet donné naissance à un
mélange d'états fondamentalement différents puisque les
vecteurs qui les représentent sont orthogonaux. Par contre la
probabilité
qui affecte chacun de ces états
dans le mélange est une probabilité de type
classique puisqu'elle résulte seulement de l'ignorance de
l'observateur. Il lui suffit de lire le résultat enregistré
dans l'appareil de mesure, par exemple
, pour en
déduire comment représenter l'état final correspondant de ce
système observé :
.
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Si au lieu d'étudier un seul système physique, on considère un ensemble de
systèmes identiques il est curieux de constater que c'est au contraire la
première étape qui parait déterministe et la seconde aléatoire.
En effet, un tel ensemble constitue en fait un système macroscopique sur lequel on
mesure des valeurs moyennes, de telle sorte que la valeur moyenne de
l'observable
par exemple, est parfaitement déterminée par l'opérateur
densité
de ce système :
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C'est ainsi que la figure d'interférence de l'expérience des deux fentes de Young était parfaitement compatible avec le déterminisme classique.
Au contraire, la deuxième étape du processus de la mesure ne
met alors en jeu qu'un seul système individuel (par exemple
observation du point d'impact d'un photon sur une frange
d'interférence). L'observateur repère le résultat unique
obtenu ``
'' et en déduit l'état final réalisé
pour ce système individuel. Tout se passe alors comme si son
état final résultait d'une projection de son état initial
dans le sous-espace
associé à la valeur propre
``
'' qui a été aléatoirement trouvée. C'est pour ce
système individuel qu'il y a eu alors réduction du paquet d'ondes
et c'est ici que se manifeste le comportement fondamentalement
indéterministe des systèmes microscopiques individuels et donc
l'aspect indéterministe de la mécanique quantique.